PAR Christian Faure
Article publié dans la revue PLOC n°20
Ambassadrice de la culture japonaise en France, désignée par
l’Agence nationale japonaise de
la Culture, la poétesse Madoka Mayuzumi profita de cette occasion pour dispenser une fois par semaine (en Mai et Juin
2010) des cours d’initiation sur le haïku.
Les cours se déroulant en japonais, il était nécessaire d’être relativement à l’aise dans la langue tant à l’oral qu’à l’écrit [1].
Cependant, la classe était composée d'élèves dont la connaissancedes haïkus était très diversifiée (du débutant à l’amateur averti).
Ainsi, les trois premières séances furent réservées par Madoka à la présentation du haïku, les quatre séances suivantes à la
composition, et la dernière à la présentation du jeu d’encens “du ciel et de la
terre”, occasion pour éveiller l’odorat – les cinq sens devant être mobilisés dans la composition des haïkus.
Portons à présent notre regard sur la présentation du haïku du côté japonais.
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Séance n° 1 : présentation du haïku
Madoka Mayuzumi aborda le haïku par une définition de ce genre poétique : le haïku japonais est une forme poétique fixe
(定型teikei) caractérisée par un rythme interne
(5/7/5) et la présence d’un mot de saison (季語kigo).
Elle précisa dans la première séance l’interaction entre
les kigos et les autres segments du poème : ceux-ci vont se placer dans le cadre du thème du kigo ou relater un autre thème. Les haïkus se divisent alors en deux groupes :
- “une phrase, un chapitre [thème]” (一句一章体 ikku isshôtai)
- “une phrase, deux chapitres [thèmes]” (二句一章体 niku isshôtai), ou “montage” [*].
Du second groupe surgit un vrai dynamisme de l’interaction entre deux thèmes qui ne doivent ni être trop proches (pour se diriger vers
la banalité) ni trop éloignés (pour n’avoir plus de sens).
Elle aborda enfin la portée des kigos, notamment la fusion qu’ils opèrent entre soi-même
(son
égo) et la nature (le monde extérieur).
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Séance n° 2 : des haïkus représentatifs et leur contexte, leurs liens dynamiques
La seconde séance fut l’occasion de détailler une trentaine d'oeuvres reconnues et d’en expliciter leur sens et les émotions qu’ils suscitent afin
d’appréhender les enjeux de la composition d’un haïku.
Madoka Mayuzumi en profita pour rappeler la valeur des kigos et le lien dynamique qu’ils
entretiennent avec les autres segments.
Exemples des deux groupes de haïkus avec le même kigo, la “coccinelle”:
- “une phrase, un thème” (ikku isshôtai) :
翅割つててんたう虫の飛びいづる
hane watte tentômushi no tobizuru
Écartant ses ailes
La coccinelle
S’envole
- “une phrase, deux thèmes” (ikku nisshôtai) :
てんと虫一兵われの死なざりし
tentômushi ippei ware no shi nazarishi
Une coccinelle –
Soldat,
j’ai survécu
Le premier haïku, composé par Takano Sujû (高野素十 1893~1976), représente bien le thème unique reflété par le kigo de la coccinelle, novateur à son époque mais sans doute évidentaujourd’hui.
Le second, composé par Azumi Atsushi (安住敦 1907~1988) incorporé sous les drapeaux lors de la seconde guerre mondiale, met en contraste par son montage le sentiment de paix qu’inspire la vue de la coccinelle et sa surprise d’être toujours en vie.
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La revue du haïku n° 20 9
Séance n° 3 : interroger notre sensibilité et nos goûts en matière de haïkus
Les participants auront sélectionné trois compositions dans une nouvelle liste de haïkus représentatifs, transmise lors de la séance
précédente.
Madoka Mayuzumi demanda ensuite à ce que chacun en donne son appréciation à l’oral.
L’intérêt pédagogique est de permettre à chacun de s’interroger sur ses goûts en matière de haïku, d’exprimer sa sensibilité par rapport à une
oeuvre afin de pouvoir la reconnaître et tenter ensuite à son tour de s’en approcher.
Madoka Mayuzumi replaça ensuite chacun de ces haïkus dans leur contexte.
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Nous détaillerons lors du prochain numéro les séances consacrées à la composition mais accordons quelques instants au jeu très ancien de la voie de
l'encens.
Le jeu de l’encens “ametsuchi-kô” associe les
senteurs de chaque encens à une expression de la pluie [2] (ex :
saison des pluies - tsuyu ; pluie sur la végétation - ryokuu ; pluie de Dame Tora -toragaame).
Toutes les senteurs sauf une circulent entre les participants afin qu’ils en mémorisent le nom.
Le maître de l’encens fait circuler de nouveau les senteurs avec la supplémentaire
mais dans le désordre. Le but est de trouver le nom de toutes les senteurs selon leur ordre de passage.
Les participants qui devinent toutes les senteurs reçoivent la mention “arc-en-ciel”, ceux qui n’en trouvent qu’une seule “pluie blanche” et ceux qui n’en trouvent aucune “saison des pluies sèches”.
Pour l’occasion, seules trois senteurs furent utilisées (mais elles peuvent être plus nombreuses).
Le jeu est l’occasion de rappeler que les cinq sens sont à
invoquer dans la composition de haïkus.
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[1] Au moins le niveau 2 du JLPT –
“Japanese Langage Proficiency Test”. La lecture des caractères écrits au stylo
ainsi que la compréhension du vocabulaire relatif aux haïkus sont également importants.
[2] Les nombreuses expressions de la pluie forment également des
kigos.
[*] “montaju” en japonais
– le terme est issu du français.